Focus sur les gardes à domicile, ces héroïnes invisibles
Rédigé par Joelle Jablan, conseillère diversité et inclusion
Un service d’aide indispensable
Elles sont toutes les quatre passionnées par leur métier, qui implique compassion, dévouement, et écoute. « Je voulais travailler dans l’humain », « j’aime mon métier », ont résonné à l’unisson de la bouche des gardes à domicile de l'asbl Gammes, un service de garde à domicile à Bruxelles.
Les gardes à domicile sont souvent l’unique lien social régulier dont bénéficient les personnes accompagnées, et cela s’avère d’autant plus vrai pendant la période de pic de la crise sanitaire, où les proches de certain·e·s bénéficiaires ont cessé de leur rendre visite par précaution.
« Pour certain·e·s bénéficiaires, personne ne passe. Si l’on ne passe pas, ils ne vont pas manger, pas prendre leurs médicaments. C’est notre métier que l’on a choisi ; on a une responsabilité ; on doit y aller même pendant le Covid-19 » nous confie l’une d’elles.
Et pourtant une absence de reconnaissance
Malgré leur utilité sociale, elles œuvrent pourtant dans l’ombre. Pour le commun des mortels, le métier de garde à domicile reste un mystère, souvent confondu avec les aides familiales et aides ménagères dont les prestations sont différentes. *
En temps normal, leurs conditions de travail ne sont déjà pas faciles. Les heures sont fluctuantes ; elles travaillent de jour comme de nuit. Outre la fatigue physique, la charge psychologique est lourde. « Le métier n’est pas valorisé socialement. On nous considère comme des moins que rien alors que l’on supporte une lourde charge morale, psychologique vis à vis des bénéficiaires. Par exemple, tu vas prester 6 heures chez une personne qui a Alzheimer. Tu es seule face à elle. Dès que tu arrives elle te pose une question, 2 minutes plus tard elle te repose la même et ainsi de suite ... Comment tu ressors de là ? … Les nuits, tu es sollicitée chaque heure… C’est un travail prenant, et qui demande beaucoup d’amour. » nous précise Annie Ngwasi Miss'ambu.
« On était comme à la guerre. Quand tu es sélectionné·e pour aller combattre, tu ne peux pas reculer, tu fonces. »
Pendant le pic de la pandémie, elles ont continué à travailler sans relâche malgré la peur omniprésente de la contamination. Dans les premiers temps, elles n’ont pu bénéficier de protection adéquate en raison de l’absence généralisée de masques en Belgique, et ont dû faire preuve d’inventivité pour se protéger, en confectionnant par exemple leur propre masque en tissu.
En présence des bénéficiaires, la sécurité de la distance a été la plupart du temps impossible à respecter en raison des soins à apporter (changement de protection, toilette de confort, déplacement d’un bénéficiaire en perte d’équilibre…) mais aussi en raison de l’attente affective de certain·e·s bénéficiaires. « Pourquoi est-ce je ne peux pas t’embrasser ? Ils ne comprenaient pas » nous raconte Annie Ngwasi Miss’ambu.
Les transports en commun, du fait du manque de distanciation sociale ou d’absence du port du masque malgré l’obligation, ont été, et restent encore pour certaines, une épreuve. « Les transports étaient difficiles. L’attente des bus 30-40 minutes dans le noir de février. Sans parler des prestations coupées en plein confinement : 9h-12h, 16-18h, et le reste du temps je fais quoi ? » illustre Annie Ngwasi Miss’ambu.
Outre la peur d’être soi-même contaminé·e, la peur de contaminer ses proches a pris le dessus. Ainsi se sont-elles minutieusement livrées à un rituel de décontamination lors du retour à la maison. Bahija Bouille, qui est aussi mère monoparentale de 2 enfants, nous raconte : « Je mets mes vêtements directement dans la machine à laver en arrivant à la maison, je les lave systématiquement. Je lave aussi chaque jour la maison, quand je rentre, quand je sors, je désinfecte les surfaces... La peur s’est vite installée. »
Marie Mames Delgado est aussi aidante proche de sa mère de 93 ans : « Les craintes étaient d’être contaminée et de contaminer un proche dans la catégorie très fragile. Je regrette de ne pas avoir été testée. Le test m’aurait rassurée. Je me sentais fatiguée et me posais sans cesse la question de la contamination. »
La période Covid a été physiquement et psychologiquement très difficile. Les applaudissements citoyens ont été d’un certain réconfort mais ont aussi mis en exergue une réalité plus crue : « A 20h, les applaudissements citoyens nous ont fait du bien. Car on parle des infirmier·es, des médecins, mais jamais des gardes à domicile. On était dans l’ombre mais on le faisait ».
A cette absence de reconnaissance sociale s’ajoute l’absence de reconnaissance financière. La majorité d’entre elles a suivi le « Programme de Transition Professionnelle » qui permet de bénéficier d’une formation qualifiante de 4 mois, suivie d’un stage professionnel, puis d’un contrat de travail pour une durée de maximum 2 ans. Elles ne bénéficient donc pas d’une sécurité de l’emploi et sont dans l’impossibilité de se projeter à long terme.
Elles attendent aujourd’hui du changement de la part des politiques.
« Ce travail auprès de l’humain se fait tout au long de l’année et mérite d’être valorisé financièrement » nous dit Marie Mames Delgado « par exemple via une exonération d’impôts des sursalaires ».
« Il n’y a rien de plus beau que de rester chez soi avec ses souvenirs »
Pour elle, il en va du respect de la personne. Valoriser le travail à domicile, c’est s’assurer que des personnes en perte d’autonomie pourront demeurer chez elles, dans un cadre familier et sécurisant, entourées de leurs souvenirs, et continuant à jouir d’une flexibilité dans l’organisation de leur journée.
Le constat est amer : « C’est très dur de dégager de l’argent pour quelque chose qui ne rapporte pas. Les personnes en fin de vie ne rapportent rien à l’Etat et elles demandent beaucoup. »
Annie Ngwasi Miss’ambu, quant à elle, regrette l’absence d’octroi de prime « en tant que gardes, on ne nous a même pas octroyé de prime, contrairement aux soignants à l’hôpital. Nous avons pris des risques : des bénéficiaires ont attrapé le virus à l’hôpital puis en rentrant, nous étions les premières sur le terrain...C’était très dur moralement ».
Déconstruire les stéréotypes
« Garde à domicile, c’est un métier de femmes »
Elles sont en effet majoritaires à occuper cette fonction. Est-ce pour autant « un métier de femmes » comme on a pu nous l’affirmer lors de nos entretiens ? Il est frappant de constater à quel point certaines ont pu intérioriser des stéréotypes de genre attribuant aux femmes les compétences de soins aux personnes, et les qualités humaines qui y sont liées telles que l’empathie, la compassion, la sensibilité, l’écoute… Et elles ne sont pas les seules à être victimes de ces pensées qui se sont insidieusement imposées à elles. Il arrive souvent que les bénéficiaires exigent des femmes et non des hommes pour s’occuper de leur personne (souvent par crainte de la toilette). Pourtant, à mesure que la parole se déroule, elles admettent volontiers que les hommes sont très compétents dans la fonction et qu’il s’agit peut-être là d’un signe que les soins aux personnes n’est pas l’apanage naturel de l’un ou de l’autre sexe. La déconstruction des stéréotypes est un travail fastidieux qui commence par une conscientisation et une remise en question personnelle de ses convictions.
« Je ne veux pas de Noirs, n’y-a-t-il pas de belges chez vous ? »
C’est une phrase que Nina Banza Kalumba a aussi entendue de la bouche des bénéficiaires. « Les gens pensent que je suis métisse et me disent toi tu n’es pas vraiment foncé comme les autres, toi tu peux venir mais pas les autres ». Face au racisme, Nina Banza Kalumba répond de manière pédagogique « Il faut éviter de juger la personne mais lui parler afin de déconstruire ses pensées. On lui fait comprendre que notre société est multiculturelle et que l’on ne peut choisir la personne qu’elle soit noire, jaune, verte etc. ». Elle attribue ces demandes discriminantes à la peur : « A domicile, c’est différent des hôpitaux où là un étranger peut faire une piqure sans aucun problème. Pour certaines personnes, c’est la première fois qu’elles voient un Noir rentrer dans leur maison, ou peut-être n’ont-t-elles jamais voyagé, ça aussi ça joue beaucoup. Et elles ont peur de ce qu’elles voient aux infos, à la télé… Il y a la peur derrière ça. Souvent elles finissent par reconnaitre qu’elles avaient tort ».
Découvrez d’autres témoignages marquants de femmes qui ont œuvré au front pendant la crise sanitaire sur notre page : L’impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur les droits des femmes dans le secteur à profit social.